
Le Monde et la justice au quotidien : les tutelles, face à la mort civile
Jeudi 1er février 2018,
Alors que le gouvernement doit présenter un projet de réforme de la carte judiciaire dont pourraient faire les frais certains tribunaux d’instance, « Le Monde » raconte dans ce second volet, de l’intérieur ces juridictions de proximité, les tutelles « face à la mort civile ».

Avant, le monsieur était banquier. Il lui en reste un air d’autorité, un éclat de dureté suspicieuse dans le regard, mais peut-être qu’on se trompe, peut-être qu’il a peur et qu’il ne veut surtout pas le montrer. Il s’est assis le premier dans le bureau du juge, sa fille et son fils ont suivi. Le fils est la copie du père en plus mou, mêmes cheveux gris coupés en brosse, même moustache fine. La fille a les yeux tristes, elle fait des nœuds avec ses jambes et tient ses mains serrées sur les cuisses. Tous deux fixent la pointe de leurs souliers, seul le père regarde le juge, qui pourrait presque être son petit-fils.
Le juge a ouvert une fine chemise de carton jaune avec le nom du monsieur écrit en gros au feutre noir dessus. Il prend sa voix la plus neutre pour résumer en quelques phrases l’objet du rendez-vous. Le monsieur est veuf depuis quelques mois, il vient d’entrer en maison de retraite, il a des absences de plus en plus fréquentes, a constaté le médecin, ses enfants sont inquiets. On comprend qu’ils n’ont pas osé lui dire ce qu’ils ont écrit sur le formulaire que le magistrat a devant lui et qu’il lit à haute voix. Leur père, ont-ils expliqué, peine à remplir ses papiers administratifs, se trompe dans ses factures et nourrit le projet de s’acheter une voiture alors qu’il n’est plus en état de conduire.
Le juge évoque à mots prudents la mesure de protection envisagée, une curatelle renforcée qui serait confiée à l’un de ses deux enfants. « Cela signifie que vous serez aidé dans la gestion de vos comptes et de vos dépenses… », prévient-il. Le père se cabre, fusille son fils et sa fille du regard : « Vous auriez pu m’en parler ! » « C’est pour cela que nous sommes là, monsieur. Pour en parler, justement », glisse doucement le juge. « Ah, mais je ne suis pas d’accord ! On veut m’enlever ma carte bancaire, c’est ça ? Je peux très bien tenir mes comptes, je veux que les décisions me reviennent. » « Elles se feront...
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